Woman : « Un miroir tendu aux femmes, une fenêtre ouverte sur leur réalité pour les hommes »

10/03/2020

 

Le 4 mars 2020, sortait en salle le film documentaire Woman, soutenu par Total. Une mosaïque cinématographique née du croisement des témoignages de 2 000 femmes, à travers 50 pays différents. Face caméra, sur fond noir, leurs paroles, leur visage crèvent l’écran. Entretien avec Anastasia Mikova, cinéaste et journaliste qui, aux côtés du photographe, journaliste et reporter Yann Arthus-Bertrand, a réalisé ce portrait collectif et intime de celles qui représentent la moitié de l’humanité.

 

Anastasia Mikova

Pourquoi avoir entrepris de réaliser ce film, il y a quatre ans ?

Anastasia Mikova / L’envie de nous lancer dans ce projet, nous la devons aux centaines de femmes que nous avons rencontrées lors du tournage de notre précédent documentaire, Human. En 2012-2014, alors que nous réalisions ce film, leur parole nous a bouleversés. Souvent timides ou méfiantes avant l’interview – quand, du côté des hommes la hâte et fierté primaient –, elles se confiaient totalement, une fois devant la caméra. C’était comme si elles avaient attendu ce moment toute leur vie. Partout où nous allions – que ce soit au Vietnam, en Turquie, aux Etats-Unis ou encore au Mozambique – elles avaient besoin de parler. Mais surtout, elles avaient besoin d’être entendues. Moi qui exerce le métier de journaliste de terrain depuis des années, je peux en témoigner : il y a 10 ou 15 ans, ç’aurait été tout simplement impossible qu’elles se livrent de cette façon. Quelque chose était en train de se passer. En écoutant leurs histoires, en voyant leur courage, c’est apparu comme une évidence : le moment était venu de faire un film entièrement dédié aux femmes. Elles étaient prêtes.

Qu’espérer-vous que ce film suscite chez ses spectateurs ?

A. M. / Woman est à la fois un miroir tendu aux femmes qui le regardent et une fenêtre ouverte sur la réalité de leur quotidien pour les hommes. Il y a des choses à y découvrir pour les uns comme pour les autres, sur les discriminations et les violences auxquelles les femmes doivent faire face, mais aussi sur leur rapport au travail, à l’amour, à la maternité, à leur corps… A l’issue de chacune des projections auxquelles j’ai assisté, des spectateurs sont venus me voir pour m’exprimer leur hâte d’échanger sur les sujets abordés dans le film avec leur femme, leur fille, leur père, leurs amis... C’est la meilleure réaction que je puisse espérer : susciter l’envie de se comprendre mutuellement, d’avoir une conversation qu’on n’a peut-être jamais osé avoir avec quelqu’un de son entourage. Cela peut sembler dérisoire, mais je suis profondément convaincue que le changement commence par là, une personne à la fois.

Woman brosse un tableau tout en nuances de la place qu’occupent les femmes dans le monde d’aujourd’hui, des plus lumineuses aux plus sombres. Quel regard portez-vous sur l’avenir ?

A. M. / Je suis très optimiste. Quelque chose de profond est en train de se passer dans nos sociétés. Je ne dis pas que cette transformation sera simple, qu’elle sera rapide et sans heurts ; mais les choses bougent et, on le voit bien, les femmes ne reviendront pas en arrière. C’est tout le pouvoir du témoignage : en libérant la parole des unes, on libère celle des autres – de chacun de nous. On ouvre les yeux sur une réalité, on abat des barrières, on permet aux autres d’avoir le courage de s’exprimer.

L’expérience de tournage a dû être extrêmement intense. Qu’en retirez-vous ?

A. M. / La grande leçon que je tire de cette expérience, c’est l’extraordinaire résilience des femmes. Leur capacité à se relever face à l’inconcevable ; à rester debout face à l’insupportable. Dignes. Cette force va bien au-delà de ce que je pouvais imaginer. Quand je vois ce qu’elles parviennent à accomplir, dans un monde qui leur impose encore tellement de limites – de violence aussi –, je me dis qu’en les libérant de ces carcans, ce qu’elles seraient en mesure d’accomplir serait véritablement inouï.

Les femmes que vous avez interrogées ont-elles vu le film ? Quelle a été leur réaction ?

A. M. / Dans chaque ville où a lieu une projection-rencontre, nous faisons en effet toujours notre possible pour y convier les femmes qui ont participé au tournage. C’est systématiquement un moment très fort pour elles, pour nous et pour le public. Au-delà de l’étape de l’interview – qui est souvent vécu comme un moment charnière pour elles –, ce qui est essentiel, c’est que ces femmes puissent porter ce film avec Yann Arthus-Bertrand et moi. Nous ne sommes jamais que des intermédiaires entre elles et le public. Sans elles, ce film n’existerait tout simplement pas. Les voir présentes et fières de faire partie de ce projet, c’est la meilleure réponse à tous les questionnements que l’on pourrait avoir en tant que réalisateur.

Le projet que vous portez va d’ailleurs au-delà de la production et de la diffusion du film Woman, pouvez-vous nous en dire plus ?

A. M. / Tout à fait. Nous voulions aller plus loin. C’est pourquoi nous avons créé l’association WOMAN(s), pour Women On Media and News – School. Sa mission est de former des femmes et des jeunes filles du monde entier aux métier des médias. Et c’est justement grâce au soutien de nos mécènes que nous avons été en mesure de la créer et de nous engager à lui reverser l’ensemble des recettes du film pour financer l’apprentissage des métiers de l’image de femmes au Liban, au Brésil ou encore en Inde, afin qu’elles puissent à leur tour porter la parole de toutes celles qui pendant trop longtemps n’ont pas été entendue dans leur pays.

 

« Fort de ses 100 000 collaboratrices et collaborateurs, Total œuvre pour faire progresser l’égalité à tous niveaux de l’entreprise et pour promouvoir la mixité professionnelle, notamment dans les filières industrielles et technologiques. Par un engagement fort en faveur du respect des droits humains, le Groupe – présent parfois dans des zones où les femmes peuvent faire partie des populations les plus vulnérables – veille à la nécessité de faire respecter leurs droits fondamentaux. C’est pourquoi Total a décidé de soutenir, dès son démarrage, le projet cinématographique porté par Anastasia Mikova et Yann Arthus-Bertrand. Le Groupe est fier d’être l’un des partenaires majeurs de ce film, qui fait naturellement écho aux valeurs, au code de conduite et aux actions concrètes de notre entreprise. »

Patrick Pouyanné, président-directeur général, Total