Message de Patrick Pouyanné, Président-directeur général, aux collaborateurs du Groupe
[Patrick Pouyanné, Président-Directeur général de Total]
Bonjour à toutes et à tous, où que vous soyez dans le monde. Je prends la parole aujourd’hui, après être intervenu dans un live chat avec les 1 300 managers du Groupe, pour avoir un Total Review digital puisqu’à cause des événements liés à la diffusion du coronavirus, nous n’avions pas pu tenir cette réunion le 5 mars.
Depuis le 5 mars, il s’est passé énormément d’événements et le Groupe fait face aujourd’hui à trois crises : deux crises à court terme et une à moyen et long terme.
Première crise à court terme, c’est bien sûr la crise du coronavirus qui fait que le gouvernement français a dû prendre des décisions majeures, de façon à organiser la protection de l’ensemble des citoyens. Nous ici, nous en faisons partie, nous devons donc mettre en œuvre ces décisions, notamment être à l’écoute des autres et observer de façon disciplinée les consignes qui consistent à utiliser le gel, à garder un éloignement de plus d’un mètre avec chacune des personnes que nous rencontrons, et fondamentalement à limiter chaque jour la rencontre de maximum cinq personnes pour éviter, si nous sommes porteurs du virus, de contaminer un trop grand nombre.
Je vous demande donc, de ce point de vue, de la rigueur car cette crise sanitaire est majeure, mais il en va de votre santé, et c’est bien évidemment notre priorité.
Le Groupe s’est organisé, nous avons au niveau central une cellule de crise, pilotée par Denis Favier, et le comité exécutif est mobilisé au niveau de chaque branche. Sur ce point, dans l’ensemble des pays, je fais confiance au bon sens de l’ensemble des managers pour prendre les mesures adaptées en fonction du développement local de ce virus, de façon à réagir au mieux des intérêts de l’ensemble des collaborateurs.
La deuxième crise à laquelle nous faisons face est celle des prix du pétrole. Le 6 mars, l’OPEP et les pays non-OPEP, au premier rang desquels la Russie, ont malheureusement généré une crise. Ils ne se sont pas mis d’accord. L’Arabie Saoudite a pris une décision consistant à casser le pacte qu’elle avait avec la Russie de contrôler le niveau de production des pays producteurs, et au contraire à augmenter sa production. Tout cela vient à un moment critique puisqu’au même moment, à cause du coronavirus, la demande mondiale de pétrole souffre et a beaucoup baissé.
Nous avons une crise économique mondiale. La demande mondiale de pétrole devrait baisser de près de 6 millions de barils par jour au mois d’avril compte tenu du développement de ce virus dans de nombreux pays, 6 millions de barils par jour de moins. Je vous rappelle que la demande est de 100 : c’est 6 %.
A cette crise s’ajoute une crise de l’offre puisque l’Arabie Saoudite et les autres pays ont décidé d’augmenter leur production de 3 à 4 millions de barils par jour. Cela fait moins 6 plus 4, soit 10 millions de barils par jour qui vont se retrouver sur le marché sans demande. C’est énorme, cela explique pourquoi le prix du pétrole s’est effondré. Il a été divisé par deux. Il est inférieur à 30 dollars du baril aujourd’hui. Il a également entraîné les marchés financiers : le cours de notre action a été divisé par deux.
Ce sont les deux crises auxquelles nous faisons face.
La troisième crise à laquelle nous faisons face est celle du climat. J’y reviendrai moins aujourd’hui, même si je vais vous appeler à vous mobiliser sur l’objectif des émissions de CO2.
Face à cette crise pétrolière, quelle est notre réaction ? D’abord, nous sommes aujourd’hui, grâce à votre travail depuis 2015, dans une situation très différente de celle dans laquelle nous étions en 2014. Notre bilan est en bien meilleure santé puisque notre niveau d’endettement n’est que de 16 % alors qu’il était supérieur à 30 %. Notre break-even, notre point mort, celui qui nous permet de vivre, de financer nos investissements, est en dessous de 25 dollars du baril (nous n’y sommes pas encore), il était au-dessus de 100 dollars du baril. Notre coût de production côté EP est passé de près de 10 dollars du baril à 5 dollars du baril.
Nos investissements organiques – à l’époque nous faisions face à une montagne d’investissements de 26 milliards, depuis nous avons mis en place une politique de discipline – ont baissé à 14 milliards, donc une situation très différente.
Surtout, partout dans le monde, en France comme ailleurs, vous nous avez démontré, vous m’avez démontré que vous aviez une vraie capacité de résistance et une capacité à délivrer vos objectifs : en 2015, l’ensemble des objectifs que nous nous étions fixés, notamment nos programmes d’économie, ont été plus que remplis, même dépassés.
J’ai une grande confiance dans cette condition-là, dans notre capacité à résister à cette crise.
A cette crise, concrètement, il faut bien sûr que nous réagissions. Nous avons des points de force mais nous ne pouvons pas ne rien faire. Pour que vous ayez en tête un chiffre, le passage de 60 dollars du baril – qui était notre budget il y a encore quinze jours – à 35 dollars du baril, juste pour prendre une hypothèse, représente une perte de 9 milliards de dollars si cela dure toute l’année. 9 milliards de dollars, c’est la moitié de nos investissements, c’est environ le dividende que nous payons à nos actionnaires.
Nous devons réagir. Nous devons avoir la même attitude qu’en 2015. Cette réaction va s’organiser – c’est mon message aujourd’hui – autour des mêmes mots que ceux que j’avais utilisés début 2015. J’avais fait mien un slogan qui était : « la sécurité, délivrer, les coûts et le cash ». En anglais, c’était « safety, delivery, cost and cash ». J’ai répété cela pendant deux ans pour convaincre l’ensemble des équipes de s’engager, et elles l’ont fait.
Aujourd’hui je vais utiliser les quatre mêmes mots car il n’y a pas de recette magique. Agir sur ce que nous contrôlons. Nous ne contrôlons pas ce prix du pétrole, nous disions qu’il était volatil. Nous préférions quand il était à 60 dollars qu’à 30, mais nous devons faire face à cette réalité. Nous avons les moyens de réagir donc nous avons mis en place une action centrée autour de ces quatre mots. Je vais juste changer le premier mot. Je ne vais pas parler de Sécurité mais de HSE.
H c’est la santé, et votre santé est notre priorité aujourd’hui.
S, c’est la Sécurité. En Sécurité, nous avons fait énormément de progrès mais nous avons beaucoup trop de décès dans ce Groupe : quatre décès en 2019, c’est insupportable. Nous devons mettre toutes nos actions en place pour nous améliorer sur la sécurité. La Sécurité, ce sont quatre décès, je le souligne, parmi nos sous-traitants. Ce n’est pas un hasard. Je suis convaincu que nous devons progresser dans la relation que nous avons au quotidien, dans tous nos sites, avec nos sous-traitants. Ils font partie de notre famille. En 2015, au milieu de la crise, nous avions lancé le Safety Moment. Je lance cette idée aujourd’hui : je voudrais que dans chacun des sites, notamment au moment de cette crise où la relation avec nos sous-traitants peut se tendre parce que nous allons devoir faire des efforts sur nos coûts, on fasse chaque jour un Safety Tour avec l’un d’entre eux. Cela montrera qu’ils font partie de cette famille, et qu’ils sont importants pour nous.
J’ajoute le E, c’est l’environnement, le CO2. Nous sommes aujourd’hui – vous le voyez, vous le lisez dans les journaux –, agressés sur notre capacité à être un acteur positif de la neutralité carbone, de la transition énergétique. Nous devons nous mobiliser pour réduire nos émissions de CO2 partout dans le monde, dans toutes nos opérations. Nous nous sommes donné un objectif : passer de 46 millions de tonnes en 2015 à 40 millions de tonnes en 2025. Ce n’est pas suffisant. Nous devons aller vers 20 millions de tonnes. Pour cela, j’ai besoin de chacun d’entre vous, de vous mobiliser sur ce sujet, dans les prochaines semaines, pour que chacun de nos actifs, chacune de nos opérations soient dotés d’un plan d’action CO2. Où que ce soit dans le monde nous avons beaucoup de savoir-faire dans le Groupe, notamment chez GRP. Je souhaite que le groupe Total devienne le premier client de toutes les solutions de GRP dans les prochaines années.
Ensuite, nous avons – je vous l’ai dit – delivery, le coût et le cash. Notre comité exécutif a travaillé depuis dix jours à mettre en place une réponse immédiate face à ces challenges et la réponse immédiate va se décliner en plan d’action.
Nous avons un trou de 9 milliards de dollars et nous voulons le réduire. Pour le réduire, nous allons agir sur les divers leviers que nous avons.
Le premier levier, ce sont nos investissements. Encore une fois avec l’ensemble des branches – nous avons regardé cela encore ce matin au comité exécutif –, nous pouvons les réduire de plus de 20 %. Nous voulons économiser 3,3 milliards de dollars : 2,5 milliards à l’EP, 300 millions à GRP, 300 millions au Raffinage-Chimie et 200 millions au Marketing & Services – à peu près 20 % de chacun des budgets. Nous allons mettre en œuvre l’idée – c’est le premier volet – de réduire nos investissements. Nous les tenons entre nos mains. L’idée est d’user d’un certain nombre de flexibilités – nous avions des investissements que nous savions flexibles – pour faire face à cette chute du pétrole.
Le deuxième volet en matière de coût est nos OPEX, nos coûts opératoires. Nous avions maintenu notre programme d’économies. Je vous rappelle que nous avions prévu un programme de 400 millions de dollars d’économies dans notre budget pour l’année qui vient puisque nos prévisions par rapport à 2014 étaient d’économiser 5,1 milliards de dollars.
Nous allons vous demander un effort supplémentaire partout dans le monde, regarder à nouveau nos coûts opératoires pour doubler cet effort et atteindre 5,5 milliards d’économies : non pas 400 millions mais 800 millions économisés sur l’année.
Bien sûr, le fait que nous ne puissions plus nous déplacer et voyager va contribuer à ces économies, mais au-delà de cela je compte sur chacun d’entre vous et nous allons appliquer les mêmes recettes que ce que nous avions fait en 2015 : vous faire confiance, faire confiance à l’ensemble des salariés qui sont dans l’entreprise. Bien évidemment, il ne s’agit pas de faire des économies sur le dos des équipes, des collaborateurs de Total. En revanche, nous allons prendre la même mesure qui est de geler nos recrutements – geler ne veut pas dire zéro mais les diminuer –, immédiatement. C’est une instruction que je donne à tout le monde. Nous allons très rapidement décider quel est le bon niveau auquel nous voulons recruter cette année partout dans le Groupe.
Bien sûr qu’il y aura des secteurs comme les nouvelles énergies, comme le digital. Nous sommes en train de construire la Digital Factory que nous allons préserver car il est important de préserver le futur. En même temps vous devez faire preuve – encore une fois c’est le mot-clé – de discipline, car c’est ce que nous contrôlons.
Le dernier effort en termes de cash que nous allons faire est vis-à-vis de nos actionnaires, car nous allons réduire les rachats d’actions, prévus de 2 milliards de dollars. Nous avons dépensé uniquement 500 millions. Nous arrêtons notre programme de rachat d’actions, donc nous économisons 1,5 milliard de dollars pour notre plan.
Voilà comme nous voulons agir par rapport à ce « gap » de 9 milliards. Vous allez me dire : « Mais comment faites-vous ? Le plan que vous venez d’annoncer représente 5 milliards de dollars. » Oui, il y a un trou de 9. Nous allons utiliser le bilan, qui est solide : nous avons un niveau d’endettement faible. C’est pour cela que nous disions qu’il fallait nous désendetter, pour pouvoir faire face à des mouvements aussi brutaux du pétrole. Nous allons le faire. Pour vous donner une idée, 4 milliards de dollars empruntés c’est 2 % de gearing, d’endettement, donc il n’y a pas de souci.
Les marchés, en ce moment, sont en train de bouger beaucoup, mais notre liquidité, notre trésorerie est élevée : nous avons plus de 10 milliards de dollars. Nous pouvons faire face à cette crise financière. Voilà, en gros, le plan auquel nous faisons face, que nous vous proposons, que nous voulons mettre en œuvre immédiatement.
Les challenges sont importants, ils sont en face de nous, mais mon dernier mot : j’ai confiance, en vous tous, en toutes les équipes. Nous avons survécu aux tempêtes de 2015, nous survivrons aux tempêtes de 2020 grâce à votre travail, grâce aussi aux valeurs du Groupe. Je rappellerai toujours celle qui me tient le plus à cœur : celle de la Solidarité. C’est par la Solidarité que nous combattrons cette crise du coronavirus. C’est par la Solidarité que nous ferons face à cette crise des prix du pétrole. C’est par la Solidarité que nous construirons ensemble le Total de demain.