09/11/2023
Coût, empreinte carbone, provenance : l’énergie est au cœur des débats actuels. Comment expliquer la hausse des prix de l’énergie ? D’où proviennent les énergies que nous utilisons aujourd’hui ? Peut-on imaginer un monde 100 % décarboné ? Pour répondre à ces questions, notre deuxième #EnergyTalk a réuni deux experts du sujet : Patrice Geoffron, professeur d'économie à l'Université de Paris-Dauphine et directeur du Centre de Géopolitique de l’Energie et des Matières Premières et Jean-Pascal Clémençon, directeur Stratégie et Marchés chez TotalEnergies. Retrouvez les principaux messages à retenir de ce débat animé par la journaliste Virginie Guilhaume.
Quelles sont aujourd’hui les énergies les plus utilisées ?
Patrice Geoffron :
Au niveau mondial, le mix d’énergie primaire repose à environ 80 % sur les énergies fossiles. Cela nous donne une idée de l’amplitude de l’effort à fournir pour atteindre les objectifs Net Zéro à 2050, c’est-à-dire ne pas émettre plus que ce qui pourrait être capturé de différentes manières. Cela veut dire que nous avons un peu moins de trois décennies pour déconstruire le système qui s’est élaboré en deux siècles et qui a créé beaucoup de richesses. [...] On constate de vraies avancées, par exemple la pénétration des véhicules électriques, bien qu’elle ne soit pas homogène à travers le monde. C’est une vraie opportunité pour infléchir la demande de pétrole, puisque le secteur des transports est encore dépendant à 90 % de cette énergie. [...] Il faut mettre en place des politiques d’accompagnement des consommateurs, pour permettre aux foyers les plus modestes d’accéder aux véhicules électriques notamment. C’est un vrai défi pour les pays développés, et ça le sera encore plus pour les pays émergents.
Comment la demande en énergie va-t-elle évoluer ? Va-t-elle baisser ?
Patrice Geoffron :
La demande n’a pas vocation à baisser au niveau mondial, notamment en raison de la dynamique démographique et du développement des classes moyennes dans beaucoup de pays émergents. Un accès élargi à l’électricité est par ailleurs souhaitable : actuellement, 600 millions de personnes n’ont pas accès à l’électricité en Afrique. Toutes ces données constituent des facteurs d’accroissement des besoins énergétiques.
Comment expliquer la tension actuelle sur les prix de l’énergie en Europe ?
Patrice Geoffron :
Nous avons rompu les liens énergétiques avec le premier fournisseur de charbon, de pétrole et de gaz de l’Europe. […] Tout cela s’est combiné, en France, à des problèmes assez vastes dans le secteur électronucléaire, qui a conduit à la baisse de la production à l’abord de l’hiver. [...] La France importe 99 % de son pétrole et 98 % de son gaz. Cette fragilité doit nous déterminer d’autant plus à nous engager dans la transition énergétique.
Jean-Pascal Clémençon :
Sur le sujet des prix des carburants, les pays de l’OPEP et la Russie ont imposé des quotas qui, en limitant l’offre pétrolière, contribuent à faire augmenter le prix du baril de Brent et donc les prix à la pompe. […] Notre rôle est de fournir du pétrole aux consommateurs qui le réclament. C’est la raison pour laquelle TotalEnergies a proposé en France un plafonnement à 1,99 € par litre, pour essayer de contribuer, autant que faire se peut, à limiter le coût pour les consommateurs.
Quelle réponse TotalEnergies apporte-t-elle à l’ensemble de ces enjeux ?
Jean-Pascal Clémençon :
Le challenge auquel nous sommes confrontés, c’est à la fois de proposer aux consommateurs le système énergétique bas carbone que la transition énergétique requiert, tout en maintenant une offre disponible à un prix abordable pour ceux qui n’ont aujourd’hui pas d’autre alternative que de consommer de l’énergie fossile.
En 2021, Total est devenu TotalEnergies, un changement qui marque une véritable prise de conscience de la nécessité de développer une offre diversifiée d’énergies, pour aller plus vite dans la transition énergétique. C’est un choix que TotalEnergies a été la première à faire parmi les grandes compagnies historiques du marché pétrolier. [...] Les énergies fossiles ont permis l’accroissement du niveau de vie de l’ensemble du monde occidental depuis l’ère de la révolution industrielle. Aujourd’hui, il nous faut réduire les émissions de gaz à effet de serre de ce système énergétique dans lequel nous vivons, le système A.
Chez TotalEnergies, nous mettons en place un grand nombre d’actions et nous essayons de rallier autant de compagnies nationales que possible à cet effort, notamment pour réduire les émissions de méthane. [...] La deuxième étape, c’est de construire un nouveau système énergétique décarboné, le système B. L’argent que nous tirons de nos activités historiques, nous le réinvestissons dans les énergies renouvelables. […] Nous investissons 5 milliards de dollars par an dans les énergies bas carbone, essentiellement dans l’électricité, et nous entendons continuer cet effort et être un acteur de premier rang dans la construction de ce système énergétique décarboné qui est la seule réponse à l’urgence climatique.
Concernant les renouvelables, qu’en est-il de leur coût et de la problématique de leur intermittence ?
Patrice Geoffron :
L’argument du coût doit s’observer au cas par cas, mais ce n’est plus un argument aussi probant qu’il y a 10 ou 15 ans. Si on regarde la courbe de décroissance des coûts du photovoltaïque, elle a été beaucoup plus rapide que ce que les scénarios les plus optimistes prévoyaient en 2010. [...] En France, à l’échelle de l’ensemble de la société, la transition énergétique va être une source d’économies car elle va permettre de réduire nos importations de pétrole, de gaz et d’électricité notamment.
Jean-Pascal Clémençon :
Chez TotalEnergies, nous avons tout à fait conscience de la problématique posée par l’intermittence des énergies renouvelables et de la nécessité d’assurer un niveau de production d’électricité le plus stable possible. Grâce à notre organisation Integrated Power, nous combinons la génération d’électricité à partir de sources renouvelables et de gaz et le stockage par batteries. L’idée est de fournir, de manière intégrée, l’énergie la plus constante possible au consommateur.
Peut-on imaginer un système énergétique 100 % décarboné ?
Jean-Pascal Clémençon :
La décarbonation de l’énergie ne va pas aller à la même vitesse partout dans le monde. On devrait être environ 10 milliards d’habitants sur la planète en 2050, et les deux milliards d’habitants supplémentaires par rapport à aujourd’hui vont essentiellement provenir de pays qui n’ont actuellement pas suffisamment accès à l’énergie. [...] Il est très probable que le développement de l’accès à l’énergie dans ces pays se fasse grâce au système énergétique fossile actuel. Tout le challenge de la transition énergétique – c’est là où les pays occidentaux ont un rôle à jouer – c’est d’aider ces pays émergents à avoir accès à l’énergie tout en implémentant progressivement des mesures d’efficacité énergétique et de décarbonation dans le reste du monde.
En ce qui concerne l’Inde par exemple, TotalEnergies développe des projets renouvelables et dans le gaz naturel pour aider le pays à se développer économiquement sans avoir recours à 100 % au charbon, à l’inverse de ce qu’a fait la Chine dans le début des années 2000. [...] Dans les pays occidentaux, sobriété et efficacité énergétique sont au cœur de la transition. TotalEnergies investit par exemple dans les carburants aériens durables qui sont aujourd’hui la seule solution pour décarboner l’aviation. Nous investissons également dans l’hydrogène vert pour décarboner nos raffineries en Europe. Le but n’est pas seulement de décarboner notre propre outil industriel mais de motiver l’ensemble de la filière hydrogène vert en l’assurant de débouchés.
Parmi les solutions, on parle beaucoup du gaz naturel. Est-ce une bonne énergie pour demain ?
Jean-Pascal Clémençon :
Le charbon a aujourd’hui une place prépondérante dans la génération électrique au niveau mondial. Le gaz naturel, bien que d’origine fossile, émet deux fois moins de gaz à effet de serre que le charbon dans la génération électrique.
Patrice Geoffron :
Le problème avec le gaz, ce n’est pas la molécule en elle-même mais son origine. L’enjeu c’est donc de parvenir à décarboner le gaz, en produisant par exemple du biométhane à partir de déchets agricoles, de boues d’épuration, de déchets industriels. [...] Il y a également la question de l’hydrogène qui, à l’heure actuelle, est largement produit à partir de gaz et qui est essentiel dans la chimie et la pétrochimie notamment. Pour décarboner l’hydrogène, on peut utiliser les renouvelables ou le nucléaire, par exemple. C’est un très gros enjeu pour la décarbonation et la compétitivité de notre industrie, notamment en Europe.
Finalement, comment avancer au mieux pour faire de la transition énergétique une réalité ?
Jean-Pascal Clémençon :
Une entreprise comme TotalEnergies n’a qu’une réponse à apporter à cette question : l’action. Il faut investir dans les énergies bas carbone, plus vite et de manière plus large, à la fois dans les pays développés et dans les pays émergents. Il faut aussi promouvoir les transferts de technologies.
Patrice Geoffron :
Si on regarde les pays du monde qui se sont engagés à être neutres en carbone entre 2040 et 2050, on voit qu’ils pèsent pour 90 % des émissions de gaz à effet de serre mondiales, ce qui est une bonne nouvelle. Mais quand on regarde les politiques publiques à l’heure actuelle, la réalité des engagements, nous n’y sommes pas du tout. Il faut donc concilier la vision lointaine et le présent.
Il faut agir vite et raconter une histoire collective cohérente. En ce qui concerne l’Europe, il faut se convaincre que l’on a tout à gagner à accélérer la sortie du système actuel, notamment pour réduire notre dépendance énergétique. Il faut aussi prendre conscience des bénéfices locaux comme l’amélioration de la qualité de l’air.