Salon Investir Day : Replay de l'interview de Patrick Pouyanné, Président-directeur général de TotalEnergies, par Les Echos-Investir le 21 novembre 2022
02/12/2022
Retrouvez le replay de l'interview de Patrick Pouyanné, Président-directeur général de TotalEnergies sur "la stratégie et les perspectives de TotalEnergies".
INVESTIR DAY – Le 22/11/2022 – 12:00:00
Invité : Patrick POUYANNE, président directeur général TotalEnergies
VOIX-OFF (PRESENTATION)
Pour relever les défis climatiques du monde d’aujourd'hui, nous devons diversifier nos sources d’énergie. Chez TOTALENERGIES, nous continuons à nous transformer et à faire évoluer notre mix énergétique pour répondre à vos besoins. Notre rôle est de vous faciliter l’accès à de nouvelles énergies pour qu’elles fassent partie de votre quotidien. Aujourd'hui plus que jamais, notre ambition est d’être un acteur majeur de la transition énergétique. TOTALENERGIES avance avec vous pour une énergie toujours plus abordable, plus propre, plus fiable et accessible au plus grand nombre.
STRATEGIES ET PERSPECTIVES DE TOTALENERGIES
DAVID BARROUX, REDACTEUR EN CHEF DES ECHOS
Bonjour. Ravi de vous accueillir, ravi d’accueillir Patrick POUYANNE. Patrick, bonjour !
PATRICK POUYANNÉ
Bonjour David.
DAVID BARROUX
Vous êtes le PDG de TOTAL devenu TOTALENERGIES depuis 2015. Vous êtes rentré dans le groupe ELF en 1997, donc jeune carrière dans le pétrole. Juste un mot sur l’actionnariat salarié qui est très important chez TOTAL : 13 % d’actionnariat individuel et 7 % d’actionnariat salarié ; ça fait plus de 1,3 million de personnes qui sont les « petits porteurs », comme on dit, et c’est important de le dire aujourd'hui puisqu’on se retrouve à l’occasion d’« Investir Day ». Je le disais, vous êtes à la tête de ce groupe depuis 2015. On va balayer plusieurs sujets, à la fois quelques mots sur la conjoncture en France, quelques mots sur le contexte international qui a pas mal bougé dans le monde du pétrole, et puis nous verrons ensuite comment TOTALENERGIES a essayé de s’adapter pour faire face à cette environnement qui ne cesse de bouger. En un seul mot, TOTAL, c’est « la » major française du pétrole, qui s’est diversifié aujourd'hui dans toutes les sources d’énergie. Vous avez repris il y a quelques temps en France DIRECT ENERGIE pour être aussi acteur sur le marché de l’électricité auprès des particuliers en France. Un mot peut-être sur la France. Depuis quelques temps, on a eu des queues dans les stations-service, on a manqué de pétrole, manqué d’essence. Est-ce qu’aujourd'hui on est revenu totalement à la normale sur ce front ?
PATRICK POUYANNE
Pas tout à fait, ça s’améliore rapidement, mais… d'abord, lorsque vous mettez les stocks à zéro, c’est le problème des systèmes d’une organisation efficace « just in time » en fait eh bien ça prend de les remettre à niveau. Et puis en plus, en ce qui concerne TOTALENERGIES, vous avez qu’on avait une politique de rabais importante à laquelle les Français ont beaucoup adhéré, qui a amplifié le phénomène chez nous puisque les particuliers – on a vu une augmentation très forte de la fréquentation de nos stations-service, c’est près de 30 % à peu près ; donc ce qui prouve d'ailleurs que le prix est juste essentiel quand on parle d’énergie, les Français étaient très sensibles à cela, et encore eh bien d'ailleurs puisqu’on est passé à une période à 30 centimes de rabais…
DAVID BARROUX
Aujourd'hui, on est à 10 centimes…
PATRICK POUYANNE
… on a «suivi l’Etat quelque part, qui lui-même à réduit –eh bien on a vu un afflux dans nos stations-service. Bon, eh bien ça va se dérouler, donc je pense que… En tout cas, la… Ce qu’il est important de noter d'ailleurs, c’est que, finalement, il n’y a plus le sentiment d’inquiétude, donc pas de panique, et donc tout ça se remet à niveau et…
DAVID BARROUX
Ça se régularise.
PATRICK POUYANNE
… Ça se régularise. Par ailleurs, l’ensemble de l’approvisionnement maintenant est bien assuré. Donc voilà ; donc ça va permettre de… Ce qui est bien d'ailleurs, parce que c’était une de nos missions essentielles de service l’énergie à nos clients. J’en profite d'ailleurs pour dire qu’en fait, ça n’a pas été une période simple, ni pour les clients ni aussi d'ailleurs pour les gérants de station-service qui ont beaucoup de mal pendant cette période à faire face d'ailleurs à la fois à la colère ; à l’afflux de clients d'abord, une surcharge de travail, qui après… il y avait une forme de colère parce qu’il y avait la queue dans nos stations et…
DAVID BARROUX
Il y avait de la tension, oui…
PATRICK POUYANNE
… De la tension ; donc merci à toutes les équipes qui ont pu faire… qui ont fait au mieux leur métier dans ces conditions pas très simples. En tout cas, les Français quelque part, moi ce que j’ai noté, c’est que lorsqu’une attraction directe auprès d’eux pour, quelque part, plutôt que d’être taxé, leur redonner une partie, je dirais, leur reverser une partie des bénéfices qu’on peut faire, finalement les clients apprécient.
DAVID BARROUX
Oui. C’est vrai que le choix que vous avez fait, c’était de dire « on rend une partie de l’argent qu’on a gagné sous forme de…
PATRICK POUYANNE
Oui. Mais on l’avait fait d'ailleurs, je veux le dire, même on l’a commencé dès le mois de février ! C'est-à-dire qu’on a bien senti très vite, quand les prix montaient, qu’il y aurait un débat. Et donc dès le mois de février, on avait lancé une première opération dans les stations rurales. Après, on a fait les stations autoroutières, après bon, le gouvernement a décidé une mesure plus générale que nous avons décidé de suivre ; donc je pense que c’est une bonne façon ! Et puis maintenant, on va le faire dans d’autres énergies ! Pas que sur l’essence ; là on vient de le faire, maintenant on fait quelque chose côté électricité pour récompenser les clients qui vont faire des économies. Donc on va leur donner un bonus s’ils économisent de l’électricité … sur leur facture.
DAVID BARROUX
Pour récompenser ceux qui sont vertueux…
PATRICK POUYANNE
Oui ! Eh bien c’est un moyen d’inciter ! La meilleure réponse, je trouve, à la hausse des prix de l’énergie, c’est d’être plus efficace ! D’économiser ! Enfin ça permet… Non seulement c’est bon pour le portefeuille, mais c’est aussi bon pour les émissions et c’est bon pour la sécurité de l’approvisionnement au collectif. Je pense qu’il faut encourager les comportements vertueux de l’ensemble de nos clients.
DAVID BARROUX
Sur les 30 centimes devenus 10 centimes, est-ce que vous avez compté combien ça allait coûter ? Parce que c’est quand même de la marge en moins pour un groupe comme TOTALENERGIES…
PATRICK POUYANNE
Ça avait été annoncé, on nous avait annoncé que ça nous coûtait à peu près 500 millions d’euros sur l’année. On en est… On y est parce que j’ai vu, là, on est à peu près, après la phase 30 centimes, on a vu… Donc ça fait 400 millions d’euros, donc c’est un coût ; et il nous reste encore un mois et demi à 10 centimes ; donc on va être sans doute aux 900 millions d’euros qu’on avait annoncés. Bon. Mais encore une fois, bon, on peut le voir, c’est, certes, une démarche plutôt originale, mais je crois qu’on est le seul pétrolier au monde à voir décidé d’avoir des …
DAVID BARROUX
Les majors pétrolières américaines n’ont pas fait la même chose ?
PATRICK POUYANNE
Non, elles n’ont pas été… Personne ne nous a suivis sur ce terrain, je dirais, de la contribution volontaire, mais… Mais encore une fois, c’est… Dans les parties prenantes d’une entreprise, il y a des salariés, bien évidemment, au premier chef, il a des actionnaires, il y a nos fournisseurs, mais il y a aussi nos clients ! Et donc voir comment, dans des périodes où l’énergie monte, on cherche à s’adapter et à prendre en compte le souci des clients, ça me paraît aussi faire partie de l’attitude d’une entreprise responsable.
DAVID BARROUX
On s’était vu il y a un an, et si on regarde le contexte global en un an quand même, il y a quelque chose qui a changé, c’est la guerre en Ukraine, c’est l’inquiétude qui est montée sur les questions énergétiques. Qu’est-ce qu’il faut en retenir, selon vous, sur ce conflit, comment est-ce qu’il impacte le monde de l’énergie à court, et peut-être à plus long terme ?
PATRICK POUYANNE
Ah, il a changé beaucoup de choses. D'abord… D'abord, on parle encore plus d’énergie qu’avant ; jusqu’au conflit, je dirais, l’énergie était dominée par le côté énergie durable, le climat, et tout le débat tournait beaucoup autour de la transition énergétique. Ce débat est toujours là ! Parce qu’on est en pleine COP. Donc l’impératif climatique est toujours là, mais ce qui est devenu très prégnant avec la crise, la guerre, l’agression de la Russie contre l’Ukraine, c’est surtout le fait que la notion de sécurité d'approvisionnement est remontée en haut puisque…
DAVID BARROUX
Ce qu’on prenait pour un acquis…
PATRICK POUYANNE
Ce qu’on prenait pour un acquis, tout d’un coup on découvre que, eh bien on était très dépendant du gaz russe, donc cette notion-là est venue au centre des préoccupations, notamment pour nous, Européens, et puis comme je le disais, la conséquence a été aussi, même si les prix avaient monté, en fait, le prix du pétrole a monté en 2021, vous savez. L’effet de la guerre a plutôt été sur les prix du gaz, en Europe, puisque tout d’un coup, on se retrouve privé d’une source de gaz ; donc on doit amener en Europe, du gaz naturel liquéfié, et TOTAL y a contribué largement, mais là, il y a un impact majeur sur le marché gazier, et par conséquent – ce que les gens ont découvert, mais – sur le marché de l’électricité ! Parce qu’effectivement, il se trouve que le gaz est le moyen marginal de fabriquer de l'électricité et qu’on a un marché, je dirais, dérégulé en Europe où le prix est égal au coût marginal. C’est une des premières leçons d’économie qu’on apprend à l’université…
DAVID BARROUX
Quand on allume la dernière centrale à gaz pour faire de l'électricité, ça fait…
PATRICK POUYANNE
Eh bien c’est elle qui déclenche le prix !... Ça, il n’y a rien de … On me dit que ce n’est pas normal. Eh bien si, c’est normal quelque part, et quand, voilà. Mais bon. Donc il y a un impact majeur, ça c’est clair, et qui va durer, qui va durer parce que bon, là, naturellement, la première priorité cette année a été pour nous tous d’approvisionner l’Europe, donc on a rempli tous les stocks de gaz ; donc cet hiver, on va le passer. Mais on sait que si, quand l’hiver, il fait froid, donc on consomme du gaz ; donc on va sortir de l’hiver avec des stocks bas et il va falloir qu’on reparte à regonfler ces stocks dans les mois qui suivent, et la différence qu’on aura entre 2023 et 2022, c’est qu’en 2022 en fait, les six premiers mois de l’année, le gaz russe continuait à venir en Europe. Or, entre-temps, il y a des événements graves, des attentats sur Nord Stream 1 et Nord Stream 2, donc une partie du gaz russe a disparu, et il ne reste aujourd'hui qu’un flux, je dirais un tiers à peu près du flux, qui est d'ailleurs de façon étrange, le gaz qui transite par l’Ukraine. Je n’ai pas compris pourquoi celui-là est resté là, mais enfin… il transite. Mais on se retrouve donc en situation où on a moins, pour alimenter les stocks c’ici fin 2023…
DAVID BARROUX
Pour re-remplir ce qu’on aura vidé…
PATRICK POUYANNE
Ce qu’on aura vidé. Il va falloir … encore plus en gaz naturel liquéfié, et tout ça, la seule façon pour nous – parce que le gaz naturel liquéfié, c’est une énergie mondiale ! Elle et produite dans le monde – et en fait, pour que les Européens l’amènent en Europe, il faut qu’on paie plus cher que ce que les Asiatiques paient. En gros, le gaz naturel liquéfié, son marché naturel, c’était Japon, Corée, Taiwan, Asie du Sud-est, Chine bien évidemment, qui est devenu le plus gros importateur. Donc qu’est-ce qu’li s’est passé ? Eh bien pour ramener ce gaz à des Européens, une compétition entre… Pourquoi ? Parce qu’il faut comprendre que la demande européenne a créé un vrai choc sur ce marché du gaz naturel liquéfié ! Le gaz naturel liquéfié, bon c’est des énormes usines, on n’en construit pas en claquant dans les doigts ; en gros, on en produit 400 millions de tonnes par an. L’Europe cette année, a tout d’un coup demandé 40 millions de tonnes de plus. C'est-à-dire 10 % du marché mondial. Et si on doit remplacer tout le gaz russe qui s’arrête – ce qui n’est pas totalement impossible comme scénario – ça représente 100 millions de tonnes, c'est-à-dire 25 % du marché mondial. Donc… 20 %, pardon. 25 %. Donc vous voyez bien qu’il y a eu un choc de demande, et à la fin, qu’est-ce qui… Et on ne sait pas augmenter l’offre de gaz naturel liquéfié ! Encore une fois, il faut cinq ans pour construire des usines nouvelles. Il y en a certaines qui viennent de démarrer ; il n’y en a pas qui sont attendues en 2023-2024, et donc résultat, c’est que c’est le prix qui s’est ajusté vers le haut ! Puisque vous avez une demande, un choc de demande bien supérieur à l’offre mondiale. Et ça, ça va durer sur 2023. Donc on se retrouve dans un dilemme d'ailleurs auquel les gouvernements font face parce qu’il y a une priorité à approvisionner, mais naturellement au début on ne regarde pas le prix, et puis après, on regarde la facture, et la facture est élevée. Et c’est là qu’il faut qu’on arrive… quelque part, et donc notre priorité va être à nouveau d’approvisionner. L’Europe est d’autant plus sous tension dans ce marché du gaz naturel liquéfié qu’en fait, comme on avait ces pipes russes qui venaient, eh bien on n’a pas assez, physiquement de terminaux d’importation, on n‘a pas l’infrastructure… La France en a, mais globalement l’Europe n’a pas assez d’infrastructures d’importation de gaz naturel liquéfié, ce qu’on appelle des terminaux de regazéification, pour pouvoir alimenter. Alors on construit en ce moment des terminaux, notamment on en construit, et…
DAVID BARROUX
Et vous, vous avez un projet au Havre…
PATRICK POUYANNE
On a deux projets…
DAVID BARROUX
… Quelque chose pour importer plus de …
PATRICK POUYANNE
Voilà. On a deux projets. Il se trouve qu’on avait des terminaux flottants : l’un était en Chine et l’autre, je crois, sur les méthaniers, et on a décidé de les ramener pour contribuer à la procédure d’approvisionnement. Donc on en a proposé un au Havre, où il sera en service, a priori, à la mi-2023…
DAVID BARROUX
D'accord.
PATRICK POUYANNE
Et le deuxième en Allemagne, le deuxième est en train d’essayer de s’installer en Allemagne, il pourrait être en service au début de l’année 2023, d’après les informations si tout se passe bien. Mais tout ça ; ça prend du temps. Donc voilà, il y a une vraie tension, et donc sur le marché du gaz, honnêtement, je ne m’attends pas à une relaxation des prix dans l’année qui vient…
DAVID BARROUX
Ça ne va pas baisser…
PATRICK POUYANNE
Ça ne va pas baisser comme ça. J’espère qu’on va éviter… Ce qui s’est passé en 2022, c’est que non seulement, le gaz naturel liquéfié, il fallait le payer plus cher, mais après, il y a eu un peu une panique dans le marché, c'est-à-dire qu’à un moment, quand les gouvernements ont dit « il va falloir faire du rationnement », on est rentré dans quelque chose d’assez irrationnel, c'est-à-dire le prix est allé se mettre très, très haut. Quel est l’industriel qui est prêt à payer quel prix… Et donc là, il y a eu ce qu’on peut dire, une forme de spéculation, mais qui n’était plus liée au…
DAVID BARROUX
De panique …, quoi…
PATRICK POUYANNE
… Le marché… Oui. Et là, c’était un vrai problème, et c’est ça que je pense que les Européens cherchent à contrôler : éviter qu’on paie le prix du marché international du gaz naturel liquéfié, on n’a pas le choix puisque maintenant on est un continent importateur. Donc on ne peut pas contrôler le gaz en-dessous…
DAVID BARROUX
On ne peut pas … les pics.
PATRICK POUYANNE
Mais par contre, on pourrait peut-être trouver un moyen, un mécanisme de… eh bien « caper » quelque part, mais il faut que le cap, s’il y en a un, n’intervienne qu’en cas justement, je dirais, d’hystérie forte comme on l’a vécue à un moment cet été, et encore une fois d'ailleurs, là-dessus, alors qu’on était en train de remplir les stockages, il y a eu une espèce de peur qui s’est générée dans le marché, qui était… Bon .Le deuxième point qu’il faut avoir en tête, c’est qu’il y a une très forte volatilité ! On n’avait jamais vu ça ! Le prix du gaz est quand même monté à l’équivalent de 300 dollars le baril ! Enfin normalement, le gaz vaut moins cher que le pétrole, et cette volatilité a eu un effet assez négatif également sur les marchés gaziers, c’est qu’en fait, il y a eu beaucoup d’acteurs, il y a ce qu’on appelle, des appels de marges, donc il y a un manque de liquidités sur les marchés gaziers. Et donc il y a très peu de transactions parce qu’en fait, dans ces marchés-là, il y a très des appels de marges importants, parce que, en gros, quand vous faites des transactions, eh bien vous devez mettre une espèce de trésorerie quelque part…
DAVID BARROUX
Monter une trésorerie …, oui…
PATRICK POUYANNE
Mais le problème, c’est que tout ça… ça fait des volumes élevés qui dépendent de la volatilité, et donc aujourd'hui, il y a beaucoup d’acteurs y compris nous, qui se sont retirés de ces marchés régulés pour aller plutôt faire des transactions avec des grands acteurs directement « … » comme on dit. Donc il y a aussi ce phénomène-là qui rend… Mais je pense qu’effectivement, il serait bien qu’on trouve des mécanismes pour faire que l’Europe paie le gaz naturel liquéfié international, il n’y a pas de moyens de ne pas le payer ce prix-là, mais évite de rentrer dans un autre espace…
DAVID BARROUX
Sans volatilité.
PATRICK POUYANNE
Sans volatilité.
DAVID BARROUX
Un des sujets qui inquiète en partie sur le GNL, ce qu’on entend, c’est « cette année a été aussi un peu plus simple parce que la Chine était partiellement à la cause du « zéro Covid ». Il y a un risque l’année prochaine, la Chine redémarre sur les chapeaux de roue, et eux ont négocié de contrats à long terme et donc ils vont capter tout le GNL, et donc…
PATRICK POUYANNE
No mais dans le marché du GNL, il y a des contrats long terme, et les Chinois en bénéficient ; d’ailleurs, à mon avis la seule vraie réponse à la volatilité du prix pour les Européens serait d’en signer…
DAVID BARROUX
Des contrats.
PATRICK POUYANNE
Parce que des contrats long terme, en général, sont liés au prix du pétrole, c’est un pourcentage du prix du pétrole. Donc nous, on a dû vendre à la Chine à peu près l’équivalent de 100 dollars du baril de GNL. Ou au Japon. On ne l’a pas payé 200 ou 300… Ils n’ont pas payé le même prix que nous, parce que ces contrats long – parce qu’ils sont longs – permettent d’avoir des formules de prix qui amortissent mieux, je dirais, la volatilité. En Europe, one est complètement sur un marché Spot. Donc à mon avis, c’est une voie. Je ne suis pas très inquiet parce qu’en fait, ce qu’il se passe, c’est que certes, vous avez des contrats long terme, mais vous avez aussi des contrats aux Etats-Unis, nous on en a, on est le plus gros exportateur de gaz naturel liquéfié américain, puisque TOTALENERGIES, il faut avoir en tête, la France a une chance, c’est qu’on est numéro trois mondial de ce marché ; sur les 400 millions de tonnes, on en propose 40 millions de tonnes. Donc on a 10 % du marché mondial entre nos mains, et ce gaz naturel liquéfié américain, en fait, il n’est pas contractualisé à long terme pour une grande partie, et c’est nous qui l’ avons gardé, on l’a dans notre portefeuille, donc on est devenu un gestionnaire sur notre bilan, donc on prend ce risque. Aujourd'hui bien évidemment, c’est une source de revenus pour nous, et en fonction du marché international, on va l’envoyer soit en Europe comme on a cherché à la fier, où les prix sont un peu meilleurs, soit il va en Asie. Donc voilà en gros comment ça se passe. Donc la Chine… Après, est-ce que la Chine va tellement redémarrer qu’elle voudra aussi prendre une partie du marché spot, ça c’est moins évident, parce que ce qu’on a observé cette année, c’est quand même les Chinois, cette année, ont moins de GNL, ils ont pris plus de charbon malheureusement. Parce que leur gaz naturel liquéfié, il sert en fait de substitut au charbon pour faire de l’électricité. Donc ils ont un arbitrage possible, et quand les prix deviennent trop élevés, comme beaucoup de pays asiatiques en fait, on voit un retour vers le charbon, ce qui n’est pas bon pour le climat, mais en fait, c’est d'ailleurs à mon avis une façon qui fait que le marché … puisqu’à la fin, l’offre est égale à la demande. Donc si j’ai une offre contrainte, c’est qu’en fait, il y a une forme de destruction de demande qu’on a eue mondialement qui pose des soucis. L’un, c’est : en Asie, retour d’un charbon ; et en Europe, ce qu’on voit aussi, c’est quand même une baisse de la demande de gaz de la part des industriels, assez forte, parce que c’est cher et les industries en Europe, certains sont allés vers le diesel, générateurs au diesel, d’autres arrêtent des activités, et ça ce n’est pas bon globalement pour la macro-économie.
DAVID BARROUX
Ou ils peuvent les produire un peu plus aux Etats-Unis parce que l’énergie est moins chère…
PATRICK POUYANNE
Voilà. Donc il y a plusieurs phénomènes induits par cette affaire de gaz.
DAVID BARROUX
Est-ce que, une des leçons aussi de la guerre en Ukraine, c’est qu’on est rentré dans un monde dans lequel l’énergie sera durablement beaucoup plus chère, alors qu’on était déjà sur une trajectoire d’augmentation des prix ç cause de la transition vers les énergies vertes ?
PATRICK POUYANNE
Non, on a deux sujets. Enfin d'abord, je pense qu’il y a plusieurs tendances. D'abord il y a toujours des sites. Là, vous voyez que le gaz naturel liquéfié est élevé mais il y a plein de gens qui annoncent de nouveaux projets ; donc en 2027-2028, avant il y aura trop de projets…
DAVID BARROUX
…
PATRICK POUYANNE
Entre-temps parce que les prix sont élevés, la demande aura baissé, on va se retrouver … Donc ça, c’est très… C’est les matières premières, c'est cyclique, ça, l’offre et la demande ne sont jamais en adéquation, et ça, c’est presque normal. Par contre, pour l’Europe, c’est clair qu’il y a quelque chose qui change pour nous, Européens, qui est que, même s’il y a une fois un jour la paix et qu’on reprend un peu de gazole, jamais on n’ira se remettre dans la même dépendance ! Et donc c’est vrai que ce que vous avez dit était vrai ! C’est que la transition énergétique, quelque part, parce qu’on doit investir énormément dans les nouvelles capacités, notamment d'électricité renouvelable et autres ou nucléaires, quelque part, poussent le prix de l’énergie vers le haut, c’est clair parce qu’il faut… Et notamment les prix de l'électricité ! Donc cette tendance que là, on a vue de façon exacerbée et qui est insupportable parce qu’on fait très facilement des « x3 » donc c’est beaucoup trop ! Mais tendanciellement, on va observer effectivement une appréciation de … ! Donc il faut que nos clients, quelque part, prennent en compte le fait que la transition énergétique, oui, va se traduire quelque part par des prix de l’énergie plus élevés ! Tout simplement pour une raison d’investissement encore une fois ! Parce qu’aujourd'hui, nous, les sociétés, on doit à la fois investir dans l’énergie qui nous fait vivre aujourd'hui, pétrole et gaz, et on doit aussi investir dans cette nouvelle énergie décarbonée. Et donc à la fin, eh bien tout ça, il faut le financer, tout ça. Voilà.
DAVID BARROUX
Un mot peut-être sur la conjoncture sur le marché du pétrole. Est-ce que vous pensez que les prix, là aussi, vont avoir vocation à monter ? Est-ce qu’on est autour d’un baril à 100 dollars qui va se stabiliser ? Est-ce que la conjoncture économique, on a beaucoup de tensions sur, ça risque de se ralentir, est-ce que du coup, si l’économie se détériore un peu, ça va abaisser la tension ou est-ce que… Comment vous voyez ça ?
PATRICK POUYANNE
Il y a deux tensions. Je pense qu’il y a deux phénomènes contradictoires sur le pétrole, donc c’est compliqué de répondre sur cette question-là parce que, on a parfaitement vu que le baril, qui était monté assez haut, enfin 105 dollars, ça a glissé à 85 dollars assez rapidement au cours des mois de septembre-octobre, 20 dollars ça fait quand même… c’est beaucoup, c’était bien pour les clients ; mais pourquoi ? Parce que le marché a été dominé par ce sentiment, comme on dit « … » de réception mondiale, donc moins de demandes.
DAVID BARROUX
Une crainte de récession.
PATRICK POUYANNE
Crainte de récession, et donc ça a entraîné le pétrole vers le bas. Donc ce sentiment continue à exister ! Peut-être d'ailleurs que la réalité malheureusement… On peut espérer, entre les taux d’intérêt qui remontent, l’inflation, enfin il y a beaucoup d’éléments ; un des facteurs d'ailleurs, une des inconnues, c’est le redémarrage ou non de la Chine. « Est-ce que je vais avoir un redécollage de la Chine enfin en 2023 ? ». Cette année, elle n’a pas eu du tout, et ça peut aider dans un sens ou un autre. Donc il y a cette inconnue-là. En face, il y a une force inverse qui est la force de l’OPEP, qui d'ailleurs l’a démontré récemment puisque l’OPEP, comme on a bien vu, quand c’est passé de 105 à 85, ils ont très vite réagi…
DAVID BARROUX
Ils ont …
PATRICK POUYANNE
… Et ils ont annoncé qu’ils diminuaient leur offre de deux millions de barils. C’est beaucoup, deux millions ! C’est 2 %, même si une partie était déjà pompée, il n’empêche, chez TOTAL, et on a vu d'ailleurs le prix réagir, enfin repasser de 85 à 95-100, donc une très forte encore… à la hausse. Donc il y a deux forces antagonistes qui s’affrontent, et mon sentiment c’est que les pays de l’OPEP, qui pensent d'abord à leur propre économie, ils n’ont pas trop envie de voir le pétrole baisser et passer sous 80 dollars. Je pense qu’ils ont… Il y a une forme. Et puis l’Histoire a démontré que quand on commence à avoir un sentiment justement d’une récession, même si c’est la peur de la récession, quand ça glisse vers le bas, ça glisse. Donc voilà, il y a ces deux forces. C’est difficile de vous dire sur… Autant sur le gaz, malheureusement, j’ai tendance à avoir, compte tenu des dynamiques que j’ai décrites, je ne vois pas comment ils pourraient…
DAVID BARROUX
Il y a des investissements à long terme…
PATRICK POUYANNE
… des investissements à long terme ; autant sur le pétrole, les deux, tout est possible, compte tenu des… Mais encore une fois, il serait préférable pour nous tous que la croissance mondiale reparte et qu’on ne soit pas trop atteint, parce que sinon, ça a des conséquences, au-delà des prix du pétrole.
DAVID BARROUX
Avant de parler plus en détail de TOTALENERGIES, dernière question peut-être sur le marché du pétrole. Est-ce qu’aujourd'hui, les pétroliers, les majors continuent d’investir assez massivement pour aller chercher de nouvelles ressources ? Ou est-ce que tout le monde se prépare peut-être à un monde sans pétrole à moyen terme, et donc eh bien on arrête de chercher, on arrête de faire des forages, on arrête d’investir massivement dans l’outil de production, parce qu’on se dit « le pétrole, c’est plus le passé que l’avenir » ?
PATRICK POUYANNE
On n’arrête pas, mais maintenant on investit beaucoup moins. Il faut avoir en tête qu’en 2014-2015 ; l’industrie mondiale pétrolière et gazière investissait 700 milliards de dollars par an.
DAVID BARROUX
Oh !...
PATRICK POUYANNE
C’est beaucoup ! Cette année, et depuis quelques temps d'ailleurs parce qu’à cause, là, le prix s’est cassé la figure en 2015, on est à 400 milliards. Donc on a quasiment….
DAVID BARROUX
Ce n’est pas deux fois moins, mais… Bon.
PATRICK POUYANNE
Pas loin et d'ailleurs TOTALENERGIES, on était en gros à 20 milliards, on est passé à 12 milliards. Voyez ; donc on suit à peu près… Bon. Or – et c’est là qu’il faut que tout le monde l’accepte, même si c’est – si vous n’investissez pas suffisamment chaque année, les champs de pétrole mondiaux perdent 4 % à 5 % par an de production. C’est un phénomène que les gens ont du mal à intégrer. Ce n’est pas comme une usine qui fabrique des boîtes de médicaments, qui a une capacité constante ; non…
DAVID BARROUX
On tire sur une ressource…
PATRICK POUYANNE
On tire, et en fait, ce qu’il se passe, c’est qu’au fur et à mesure qu’on produit, la pression dans les puits baisse, et donc l’année suivante, ils produisent moins.
DAVID BARROUX
D'accord.
PATRICK POUYANNE
D'accord ! Et donc il y a un phénomène naturel. Et donc qu’est-ce qu’il faut faire ? Il faut faire les Shadoks ! C'est-à-dire que si on arrête de forer, si on arrête d’investir, eh bien on n’arrive même pas à vous maintenir, on décline !
DAVID BARROUX
C’est une courbe… On ne remplace même pas…
PATRICK POUYANNE
Ce qui veut dire d'ailleurs que dans le débat du climat, moi je sais qu’il suffira qu’un jour, on décide d’arrêter d’investir effectivement, de ne pas entretenir, de laisser le déclin naturel des champs. A 4 % ou 5 % par an, en dix ans, j’en perds 50 % ! Et qu’est-ce qu’il se passe en ce moment ? Les 400 milliards, de l’avis de l’ensemble de l’industrie, ce n’est pas suffisant, en fait, même pour maintenir. On a un problème, il pourrait… il ne faut pas revenir à 700, il faudrait plutôt être à 500 milliards. Bon. Donc on est à 400. Pourquoi ? Eh bien parce qu’on a décidé, des acteurs comme nous, d’aller vers la transition énergétique !
DAVID BARROUX
Oui, il faut allouer de l’argent ailleurs.
PATRICK POUYANNE
Et donc il faut bien… On ne va pas créer, comme ça… Donc aujourd'hui, le débat est assez étrange, où à la fois on vous dit « vous en faites trop », à cause du climat, et puis après on vous dit « vous n’en faites pas assez » parce que les prix montent. Et donc voilà, on cherche en permanence le bon équilibre. Mon sentiment, c’est qu’effectivement aujourd'hui, en tout cas les 400 milliards – … – ils sont exactement au niveau que l’AIE recommande pour être derrière le net zéro ! Simplement, comme la demande… Parce qu’en fait, cette affaire, c’est un problème de demande de pétrole ! Pour l’instant, on se dit…
DAVID BARROUX
Elle ne va pas s’effondrer …
PATRICK POUYANNE
Pour l’instant, tout le monde continue à circuler avec des véhicules thermiques ! Enfin il y a quelques véhicules électriques qui apparaissent, mais on a profondément… Et la demande, en fait, elle monte même …
DAVID BARROUX
A l’échelle mondiale.
PATRICK POUYANNE
A l’échelle mondiale. Parce qu’à l’échelle mondiale, on vient de passer des milliards d’habitants ! Et en fait, la tendance forte, c’est que vous avez une demande. Et donc la vraie question pour nous tous, c’est : et si on a une demande qui reste bonne et que l’offre glisse…
DAVID BARROUX
Finit par diminuer…
PATRICK POUYANNE
Eh bien à la fin, c’est le prix qui s’adapte là encore ! Donc c’est ça, la vraie difficulté du pilotage de la transition énergétique. C’est pour ça que le mot « transition » est majeur. Parce que « transition », ça ne veut pas dire, contrairement à ce qu’on dit à…
DAVID BARROUX
Qu’on arrête d’un seul coup !
PATRICK POUYANNE
Qu’il faut qu’on arrête d’un seul coup ! Et surtout ça ne veut pas dire… Il ne faut pas, pour moi, tant qu’on n’a pas construit le système d’énergie décarboné mondial – mais c’est énorme ! – tant qu’on n’a pas investi dans un système qui nous fournit cette énergie décarbonée, vouloir diminuer trop vite l’énergie fossile qui effectivement émet du carbone, eh bien le résultat, c’est que l’énergie d’aujourd'hui, celle qui nous fait vivre, le prix va monter ! Et là, un jour, on va réussir à nous accuser d’avoir organisé une rareté, quoi ! Ce qui n’est pas du tout nos objectifs ! Donc c’est toute la difficulté de la transition…
DAVID BARROUX
En résumé, c’est qu’on a du pétrole pour les années qui viennent, sans doute la décennie qui vient, mais si on ne recommence pas à investir plus massivement et que la transition vers les énergies renouvelables est un peu plus longue que prévue, on peut avoir une tension …
PATRICK POUYANNE
On aura … Donc il faut qu’on investisse. Et ça d'ailleurs, phénomène que je viens de décrire, ce n’est pas la guerre qui a fait monter le prix du pétrole. Le prix du pétrole a monté en 2021 ! Et tout le monde se disait bien que c’était parce que justement, il y avait cette tension d’une demande qui ne baissait pas et donc on nous… Oui, je sais que la demande de pétrole va baisser un jour, j’en suis convaincu. La question c’est quand : et d’ici là, il faut continuer à assurer la mission d'approvisionnement de nos clients.
DAVID BARROUX
Parlons un peu plus en détail de TOTAL devenu TOTALENERGIES. Déjà pourquoi ce changement de nom, quand on est un géant du pétrole ? Pourquoi décider de s’appeler TOTALENERGIES, avec un « s » ?
PATRICK POUYANNE
Eh bien avec un « s » d'abord parce qu’il y a longtemps qu’on n’est pas qu’un géant du pétrole ! Même si c’est l’image des …, puisqu’on est né dans le pétrole en 1924, ça c’est vrai, on était déjà un géant du pétrole et du gaz. En fait, notre production est quasiment moitié pétrole, moitié gaz, et on est devenu un géant du gaz naturel liquéfié qui devient célèbre, on est devenu le numéro trois mondial tout … confondu, y compris les compagnies nationales, il y a le QATARENERGY, il y a SHELL, il y a TOTALENERGIES… Donc ça c’était…
DAVID BARROUX
Ça fait longtemps que vous êtes cité …
PATRICK POUYANNE
Donc ça c’était… Donc le gaz naturel liquéfié c’était quelque chose, et on avait amplifié en reprenant l’ensemble des actifs de ENGIE en 2018 cette position. Et puis li y a eu un mouvement stratégique majeur en 2020, une décision majeure, qui a été décidée et qui est d'ailleurs … qu’on allait investir l'électricité ; qu’on allait ajouter une autre énergie : le pétrole, le gaz et l'électricité. Et l'électricité pourquoi ? Parce que la transition énergétique, la décarbonation – je l’avais dit en 2016 « le XXIème siècle sera électrique » – c’est profondément plus d’électricité. Parce que l'électricité, on peut la produire à partir de l’énergie décarbonée, une énergie renouvelable, solaire, vent, etc. Et donc c’est ça le choix stratégique qu’on a fait. Le choix stratégique, c’est d’ajouter, à côté du pilier « pétrole » qui ne croît plus, on a dit « pétrole : on n’a plus de … de croissance, on va maintenir puisqu’on sait qu’il y aura une décroissance, mais il faut quand même qu’on maintienne, donc il faut qu’on continue à investir » – discussion précédente – « pour le maintenir » ; on a un pilier « gaz », lui, on continue à le faire croître dans le gaz naturel liquéfié parce qu’on considère : le gaz est une énergie de transition, il se substitue au charbon, et une centrale à gaz, électrique à gaz, ça fait deux fois moins d’émissions qu’une centrale à charbon. Donc quand je vends du GNL et quand j’en vends plus, nos clients chinois qui le substituent au charbon, eh bien ça fait tant d’émissions en moins et donc ça contribue. Et puis on ajoute l'électricité, avec une ambition que, à l’horizon 2030, l'électricité représentera 20 % de notre business ; l'électricité qui est déjà aujourd'hui près de 15 % de nos capitaux. Donc ça croît très vite. Et puis l’idée qui est … puisqu’on a dit qu’on voulait être dans une « trajectoire nette zéro » à horizon 2050, c’est que l'électricité effectivement sera dominante en 2050, dans les énergies qu’on produira. Donc on construit le pilier « électricité » à base de deux énergies. Donc on fabrique de l'électricité soit à partir du renouvelable, soit à partir du gaz.
DAVID BARROUX
Je vais y revenir, mais juste une question sur cette stratégie. En fait, vous êtes un peu « on peut avoir raison contre tout le monde », mais vous êtes un peu dans une stratégie très différente des autres Majors du pétrole qui sont, j’ai l’impression, à fond sur le pétrole, et puis de l’autre côté, on a vu émerger ce qu’on appelle des « … », ou des spécialistes des énergies électriques qui vont vers le renouvelable. Est-ce que ce choix interpelle parfois certains, quand vous voyez des investisseurs ? Comment est-ce que vous réagissez à cette question « pourquoi vous n’avez pas fait juste du pétrole comme d’autres » ?
PATRICK POUYANNE
Eh bien parce qu’on a décidé qu’on voulait être un acteur de la transition énergétique. Parce que quelque part – d'ailleurs, nos salariés l’ont bien compris – c’est quand on a changé de TOTAL en TOTALENERGIES, on retrouvait cette ambition. Je pense qu’on a voulu, on démontrait, on veut être une entreprise en comptant la transition, on a une forme de transformation ; mais encore une fois, il y a une autre raison fondamentale ! Il n’y a pas que le climat ! Il y a les marchés ! Quand vous pensez à long terme, vous avez un géant du pétrole, mais vous restez sur un marché, quand vous vous dites qu’il va décliner, c’est quand même mieux d’aller vers des marchés qui croissent et qui vont croître ! Le gaz naturel et le gaz croissent également ! Donc nous serons en transition ! Donc je pense que c’est la dynamique des marchés, c’est la volonté de pérenniser l’entreprise. Oui, il y a des questions ! Pourquoi ? Parce qu’il y a une question, notamment quand le baril de pétrole vaut 100 dollars et que c’est votre métier d’expertise, la rentabilité de votre pétrole est bien supérieure à des métiers nouveaux, vous vous diversifiez, vous prenez plus de risques !
DAVID BARROUX
Si vous investissiez tout aujourd'hui sur le pétrole, vous pourriez, entre guillemets « gagner plus d’argent », à court terme, que…
PATRICK POUYANNE
Oui, à condition que je trouve les champs pétroliers en question, à condition que je trouve le domaine pétrolier. Et encore une fois, quand on a eu cette stratégie, on l’a eue, cette stratégie tout-pétrole ! Entre 2005 et 2015. Où on avait un …, enfin un seul métier, qui était de faire croître notre production d’hydrocarbures, pétrole plus gaz ; pétrole notamment. On y a investi des… On avait 20 milliards d’investissements ou 22, 20, on est même monté à 25 milliards une année en 2013-2014. Le résultat, c’est que ça n’a pas produit de valeurs pour les actionnaires.
DAVID BARROUX
Les rendements n’étaient pas forcément en croissance.
PATRICK POUYANNE
Ça n’a pas produit de valeurs pour nos actionnaires. Pas du tout. Parce qu’on n’a pas trouvé les champs, on était dans l’exploration, on ne trouvait pas plus de champs, et au contraire d'ailleurs, quand le prix du pétrole… Parce qu’on allait chercher des pétroles de plus en plus chers ! Les fameux sables bitumineux canadiens, qui ont besoin d’un point mort à 80 dollars ! L’entreprise avait tout parié sur le pétrole, et pour chercher les barils marginaux, ils coûtaient de plus en plus cher, et…
DAVID BARROUX
Et il y avait une volatilité qui pouvait vous freiner.
PATRICK POUYANNE
Et quand on s’est réveillé en 2015, on avait un point mort dans l’entreprise qui n’était pas loin de 100 dollars du baril, le baril s’effondrait à 50, on était… on était vidé ! Enfin… Et maintenant, on a fait des efforts incroyables pour amener à 25 dollars notre point mort ! C’est pour ça que l’entreprise est plus profitable aujourd'hui qu’elle ne l’était...
DAVID BARROUX
Qu’est-ce que ça veut dire, « ramener à 25 dollars le point mort » ?
PATRICK POUYANNE
Ça veut dire qu’en gros, l’entreprise, à 25 dollars du baril, je commence à faire du profit, du cash flow, et donc vous comprenez bien que 100 dollars, par rapport à 25 dollars, il y a 75 dollars du baril, de marge supplémentaire à la … !
DAVID BARROUX
Vous vous êtes adaptés dans un monde dans lequel le prix du baril peut chuter.
PATRICK POUYANNE
Peut chuter. Donc, ça nous rend beaucoup plus résilients. Donc, l’erreur qu’il ne faut pas faire, c’est recommencer la même histoire. Croire que trouver du pétrole, parce que le pétrole marginal que je vais aller chercher, si j’investis plus, il va coûter cher et nous ne repartirons pas dans les sables bitumineux, non seulement parce que ce n’est pas bon pour le CO2 et le climat, mais aussi parce que fondamentalement il coûte cher. Donc, ce n’est pas si simple que ça de croire… Donc l’ambition consistant à dire, déjà, on va maintenir la production, lutter contre ce déclin naturel de 4 à 5 %, ce n’est pas gagné. Il m’en faut des nouveaux champs, il faut que j’aille chercher les champs en Irak, comme on le fait, quand on lance des projets décriés parfois en Ouganda. S’il n’y a pas de nouveaux champs qui alimentent, le pétrole, c’est déjà en soi une gageure. Ce que nous voulons faire, c’est arriver à maintenir, tout en maintenant la discipline sur nos coûts, donc de façon à continuer à être une entreprise qui soit résistante. Parce qu’il ne faut pas rêver, le prix est élevé, mais il baissera un jour. Ça, je vous le garantis.
DAVID BARROUX
Est-ce qu’en caricaturant, on pourrait dire que les bénéfices du pétrole d’aujourd’hui sont ceux qui financent vos investissements dans le GNL aujourd’hui et qui demain paieront les investissements dans votre business d’électricité, est-ce que c’est ça… ?
PATRICK POUYANNE
Le gaz naturel liquéfié déjà, il gagne sa vie. Le gaz naturel liquéfié est devenu un sujet majeur, cette année, c’est plusieurs milliards qu’on va gagner. Le gaz naturel liquéfié finance largement…
DAVID BARROUX
Il tient tout seul.
PATRICK POUYANNE
Il tient tout seul, il n’y a pas de souci. C’est vrai que et c’est pour ça, c’est que nous, on a créé une entreprise d’électricité renouvelable notamment, où les équipes, contrairement d’ailleurs à des concurrents qui sont indépendants, n’ont pas besoin, ils ne se préoccupent pas de savoir où ils vont trouver l’argent. L’argent, on l’a, c’est nous qui réallouons 4 milliards, cette année 4 milliards, ça fait 25 % de nos investissements vont vers l’électricité et les renouvelables, on était à 1 milliard il y a trois ans, on est passés à 4 milliards. Les gens disent il y a encore 12 milliards par an dans le pétrole et le gaz, oui, mais j’en ai besoin, encore une fois, pour mettre dans la production, pour assurer le gaz naturel liquéfié. Et puis, comme on l’a annoncé, puisqu’on fait plus de profits en ce moment en 2022, on va augmenter nos investissements, on va passer de 14-16 milliards à 16-18 milliards pour l’année qui vient. La croissance va notamment porter sur ces énergies décarbonées, électricité renouvelable, mais aussi, parce qu’il faut qu’on y investisse maintenant, les fameux carburants aériens durables et autres énergies décarbonées, le biogaz, dont on a besoin pour la transition énergétique.
DAVID BARROUX
Ces investissements-là, ils seront rentables dans combien de temps ? Est-ce qu’on est au début, on amorce la pompe, mais ce ne sera pas rentable avant des années ou est-ce que… ?
PATRICK POUYANNE
Dans l’énergie de toute manière, c’est vrai dans n’importe quel secteur, lorsque j’investis dans un nouveau pays, on va aller en Irak investir dans le pétrole, gaz, électricité, on commence par dépenser de l’argent et pas qu’un peu. En gros, c’est des sites qui font une dizaine d’années. En fait, notre aventure, nos investissements dans l’électricité renouvelable, c’est exactement la même idée. Donc, ce qu’on s’est dit, notre objectif, c’est de rendre… à horizon 2030, lorsqu’on aura suffisamment qu’en gros les revenus qu’on tirera de notre activité électricité renouvelable permettront de financer nos investissements…
DAVID BARROUX
En gros, vous investissez aujourd’hui pour que ça paye un peu plus tard.
PATRICK POUYANNE
Exactement. En fait, c’est tout le monde de l’énergie et c’est pour ça qu’on a décidé cette stratégie dès 2020, parce qu’on sait que ça prend dix ans pour arriver à établir un moteur qui sera, lui, profitable. Donc, en fait, oui, on investit dans ces métiers-là et ce sera les futures sources de cash-flow qui alimenteront les dividendes de nos actionnaires plus tard. Il faut trouver des relais, parce que si on n’arrive pas à croître dans les énergies traditionnelles, il faut trouver des relais de croissance. Donc, ils seront gaz naturel liquéfié tout de suite et, derrière, il y aura électricité renouvelable.
DAVID BARROUX
Je le disais tout à l’heure, vous êtes par rapport aux autres majors du pétrole un peu atypique, mais par rapport aux géants de l’énergie renouvelable. Pourquoi est-ce qu’on devrait investir chez vous pour miser sur les renouvelables, alors qu’il y a ce qu’on appelle des pure players, des acteurs vraiment focalisés à fond sur ce métier ? En quoi vous pouvez être aussi bon ou meilleur que ceux dont c’est vraiment le métier à 100 % ?
PATRICK POUYANNE
Il y a deux raisons. D’abord, les pure players, ils ne sont pas très gros et, pour l’instant, ils ne génèrent pas beaucoup de cash-flow, pas beaucoup de dividendes. Donc, vous pariez sur la valeur de l’action qui va monter et on va voir ce qui va se passer avec les taux d’intérêts qui remontent justement dans ces modèles-là. En fait, ils ont des modèles qui sont extrêmement fondés sur de la dette, des niveaux d’endettement extrêmement élevés, ce qui n’est pas le cas du tout. Alors, nous, on a un énorme avantage, c’est d’ailleurs la fin de l’année 2022, on aura quasiment une dette nette proche de zéro. Donc, on va se retrouver avec une entreprise qui a des capacités…
DAVID BARROUX
Vous partez d’un point très, très haut…
PATRICK POUYANNE
On était à près de 30 % de gearing il y a six, sept ans, on va ramener tout ça à quasiment zéro. On a, pendant le Covid, on était remonté. Mais là, on a une génération de cash, parce que la priorité de qu’est-ce qu’on fait de nos profits, la priorité, c’est de désendetter l’entreprise. Pourquoi ? Parce que ça nous permet de faire face aux cycles. Surtout, par rapport à votre question, en fait, ce qu’on veut faire, nous, dans l’électricité et les renouvelables, si on n’investit pas dans ce secteur-là sur le modèle de j’investis dans des renouvelables comme dans une infrastructure qui a des revenus garantis, soit par l’Etat, soit par des contrats avec des offres industrielles, ça, ça ne nous intéresse pas beaucoup. Tout ça, c’est des contrats qui ont une rentabilité relativement faible, c’est-à-dire normale, on vous garantit un revenu, vous avez ce qu’on appelle le monde des utilities, 6-5, 6-7 % de rentabilité. Nous, ce n’est pas ça qui nous intéresse. Ce qui nous intéresse, c’est de faire ce qu’on sait faire dans le pétrole et dans le gaz, c’est-à-dire de prendre le risque du marché. Donc, une partie de notre portefeuille électricité renouvelable ne sera pas sécurisée en revenus et comme on fait d’ailleurs dans le gaz naturel liquéfié, on n’a pas de contrats long terme sur tout notre gaz naturel liquéfié, le reste, on le met sur le marché marchand.
DAVID BARROUX
Vous faites le pari que vous aurez des coûts qui permettront de faire des profits…
PATRICK POUYANNE
Bien sûr. Et là, on peut bénéficier de marchés volatiles, alors bien sûr, on prend des risques quand les marchés sont bas. Mais quand les marchés sont bons comme en ce moment, on a de l’upsight. Et ça, on peut le faire. Pourquoi ? Parce qu’on a une vraie grande différence par rapport aux concurrents que vous décrivez, c’est qu’on a un bilan qui est sans dette. Le niveau d’endettement des grandes utilities européennes, c’est des gens qui ont un endettement à trois quatre fois l’Ebitda. Et ça, ça les limite dans leur capacité à agir. Les petites entreprises dont vous parlez, qui sont certes indépendantes et qui sont toutes vertes, mais elles ont des moyens limités. Donc, en fait, je pense qu’une entreprise comme la nôtre peut parfaitement trouver sa place, avec un modèle qui n’est pas le même, mais qui est celui qu’on sait faire, en fait qui s’appuie sur nos forces. Par ailleurs, objectivement, il y a des domaines comme l’offshore wind, l’éolien en mer, les compétences qu’ont mes équipes de gérer les grands projets en mer, on sait faire. Donc, je suis convaincu qu’on va amener et qu’on est en train d’amener dans ces secteurs-là, qu’on a des compétences, des atouts qui vont nous permettre d’établir un business rentable et nos actionnaires, aujourd’hui, mais il faut qu’ils acceptent, mais moi, je n’ai jamais vu, même dans le pétrole et dans le gaz, aucun pays nouveau où je suis rentré qui me délivrait 15 % de rentabilité du jour au lendemain. Ils me le délivraient, oui, mais ils le délivraient au bout d’une dizaine d’années.
DAVID BARROUX
En France, vous avez racheté il y a quelques années DIRECT ENERGIE, vous êtes sur le marché des consommateurs, vous allez vendre à des particuliers. Est-ce que c’est un métier d’avenir ? Est-ce que c’est un métier qui a vocation à se globaliser ? Est-ce que c’est juste parce que vous êtes Français, vous vous dites on va le faire ici ou est-ce que vous l’avez fait pour commencer à apprendre et voir… ?
PATRICK POUYANNE
En fait, je pense qu’on a eu deux idées. On a toujours l’idée dans l’entreprise, c’est vrai, pétrole gaz, on veut être sur toute la chaine de valeur. On considère qu’on doit produire, qu’on doit stocker, qu’on doit transporter, qu’on doit faire du négoce et qu’on aille jusqu’au client final et que le client final fait partie de l’ADN, de la mission de l’entreprise. Donc, on a voulu aller voir ce marché, les clients finaux peuvent être, soit industriels d’ailleurs, ils ne sont pas nécessairement B to C ou soit des clients individuels. On a eu des opportunités, parce que quand on a racheté DIRECT ENERGIE, il n’y avait pas que ça qui nous intéressait dans DIRECT ENERGIE, il y avait plusieurs choses. Il y avait d’ailleurs des centrales à gaz qui fonctionnent bien, il y avait une entreprise de renouvelables en France, qui s’appelait QUADRAN, qui avait été rachetée, et puis, il y avait le portefeuille de clients. En fait, quand on a racheté DIRECT ENERGIE, il y avait l’ensemble qui nous intéressait. D’ailleurs, l’histoire démontre que la rentabilité n’est pas nécessairement là où on pouvait le penser. Les clients, c’est un métier qui n’est pas simple. Pourquoi ? Parce qu’il y a une concurrence très vive, la crise va peut-être quelque part assainir cette concurrence, puisqu’on voit quand même qu’il y a un certain nombre de petits acteurs. Ce n’est pas simple parce qu’il faut des parts de marché, c’est exactement comme les stations-service, vous avez des coûts fixes relativement élevés, c’est un métier de marketing, vous avez des coûts fixes élevés de publicité, de gestion, de gestion de la base de clientèle, les call centers, le système informatique. Il faut en gros atteindre une quinzaine de pour cent de part de marché pour commencer à faire en sorte que votre base de clients va vous rapporter plus que vos coûts fixes. On est en croissance, donc on est passé de 2,5 millions de clients, on en a 4 maintenant, 4,5, donc ça croît. Mais il faut qu’on vise ces 15 % de part de marché. Donc, on est dans une phase de construction. Ce qu’on découvre aussi, c’est que c’est un business qui est assez complexe, parce que les Etats, notamment les Etats européens ont tendance à vouloir réguler ces marchés-là. Donc, aujourd’hui, on ne le fait pas qu’en France, on est dans trois pays, on est en Belgique, on a une activité, on a à peu près 10 % du marché, on est en France. Puis, on est en Espagne, où on a acquis une position en rachetant une base de clients l’an dernier, on a 7 % du marché espagnol.
DAVID BARROUX
Oui, aller dans quelques autres pays, mais…
PATRICK POUYANNE
Non, je pense qu’on va déjà essayer de faire bien ceux-là, et puis, après, on verra. Mais ce n’est pas, en soi, ça fait partie des métiers finaux, pour l’instant, ce qu’on découvre, c’est que c’est des métiers à faible marge, exactement comme les stations-service. La clé, c’est est-ce que dans ces pays-là, on peut arriver à avoir une part de marché suffisante, la taille critique ? Ça, ça va dépendre, mais c’est comme dans les télécoms, par exemple, le marché belge aujourd’hui, il y a sans doute un ou deux acteurs de trop, le marché français, il y en avait plein, il est en train de se rationaliser. Donc, c’est un moment dans ces marchés-là, s’il y a trop d’acteurs, tout le monde a des petites parts de marché…
DAVID BARROUX
Vous avez évoqué tout à l’heure le terme, je crois, biofuel, biogaz, biofuel, c’est pour faire voler peut-être les avions à l’avenir, l’hydrogène, toutes ces nouvelles énergies dont on commence à parler, les batteries, est-ce que tout ça, c’est important ou c’est aujourd’hui trop petit pour qu’un géant comme vous s’y intéresse, on va laisser peut-être des start-up et d’autres défricher ce terrain ou est-ce qu’il faut quand même suivre ce qui est tout petit aujourd’hui et qui pourrait peut-être devenir gros un jour ?
PATRICK POUYANNE
Non, non, mais on est déjà, la transition, c’est, soit des électrons, soit des molécules nouvelles, il y en a qui sont assez évidentes pour nous, on est dans ce business depuis longtemps, c’est tout ce qu’on appelle les biocarburants, la biomasse. On y est à travers, on a transformé, on transforme en ce moment des raffineries comme celle de La Mède dans le Sud de la France, celle de Grandpuits, pour faire des biocarburants. C’est presque naturel parce que c’est des liquides, c’est des molécules qui en fait d’ailleurs, technologiquement, on peut réutiliser, c’est pour ça qu’on les transforme, les anciennes unités de raffinerie pour traiter ces biocarburants. Donc, c’est presque plus évident d’aller faire ces nouvelles molécules que d’aller faire de l’électricité en fait. Donc, là, on prend des parts, c’est des marchés, alors, une des vraies difficultés de ces marchés-là, c’est plutôt la matière première, parce qu’on ne veut pas aller chercher d’alimentaire, donc il y a un débat. Donc, des énergies de déchets, de recyclage, d’économie circulaire. Donc, la matière première est clé. Mais on a une ambition, en gros, par exemple, sur le carburant aérien durable, ce qu’on dit, c’est d’avoir 10 % du marché du carburant aérien durable et on est en train de construire les outils industriels…
DAVID BARROUX
C’est possible, on va y arriver, on va décarboner un petit peu l’aviation comme ça…
PATRICK POUYANNE
C’est possible, on va y arriver, oui, parce que l’aviation, il y a un problème de stockage, on parle de l’avion hydrogène, mais à longue distance…
DAVID BARROUX
Oui, si le réservoir prend la place de tous les passagers, ça ne va pas marcher…
PATRICK POUYANNE
Donc, sur de la longue distance, il faut des carburants liquides, donc qui vont être, soit bios, comme je viens de le dire, soit ils seront ce qu’on appelle des fuel synthétiques, et ça, c’est une autre aventure, là, on fait des petits pas, on commence à avoir des unités pilotes qui consistent à prendre de l’hydrogène, donc il faut fabriquer de l’hydrogène, qui n’est pas naturel, prendre du CO2, on combine les deux et on fait du fuel synthétique. C’est sans doute une voie à horizon 2050 qui se développera. Donc, ça, on regarde, on regarde le biogaz, la biomasse, donc on a acheté une entreprise, FONROCHE, qui est dans le Sud de la France, on a 10 % du biogaz français et on est en train de regarder comment on peut s’étendre. Le biogaz, c’est intéressant, parce que c’est une façon de décarboner le gaz naturel. Donc, pour un certain nombre de compagnies, par exemple, comme CMA CGM, qui ont fait le pari de dire on va passer nos transports de containers du pétrole, les gros bateaux vers du gaz naturel liquéfié, maintenant, ils disent il faut le décarboner, donc ils ont envie d’avoir du biogaz, donc du bio GNL. Donc, il y a un marché, il y a une vraie demande, ça coûte cher à produire. On a un problème simplement d’effets d’échelle, parce que c’est des petites unités, les unités de biogaz. On regarde ce marché en Europe et aux Etats-Unis, où on commence à avoir des unités de production. Et puis, la troisième partie des molécules, ce sera l’hydrogène, là, on a fait des pas importants en 2022 dans deux directions. D’abord, en Europe, on veut décarboner tout l’hydrogène dans nos raffineries, donc on a un projet, on a deux grands projets, l’un à La Mède, là aussi, avec ENGIE, on veut investir dans des électrolyseurs de taille 120 mégawatts. On va faire quelque chose bientôt à Grandpuits qu’on va annoncer avec AIR LIQUIDE également. Donc, on regarde la décarbonation de l’hydrogène. Et puis, en Inde, on a investi dans une association avec ADANI, le conglomérat indien avec lequel on est déjà partenaire dans les renouvelables, pour faire de l’hydrogène vert en Inde, de façon massive. Donc, on prend des positions dans l’hydrogène. Et puis, je cache un peu ma copie, mais il y a aussi d’autres positions qui sont prises dans l’achat de terrains pour pouvoir un jour fabriquer de l’hydrogène vert…
DAVID BARROUX
Vous reviendrez nous en parler…
PATRICK POUYANNE
Donc, ça fait partie de la stratégie, alors on y alloue moins d’investissements aujourd’hui, on doit être plutôt entre 500 millions et 1 milliard que sur l’électricité et les renouvelables et c’est destiné à monter en puissance également.
DAVID BARROUX
Il nous reste peu de temps, deux dernières questions. Une sur l’automobile, on nous dit 2035, voiture électrique en Europe. Est-ce que la batterie est un sujet qui peut vous intéresser ? Est-ce qu’on sera capable de passer à 100 % de voitures électriques neuves en 2035 ?
PATRICK POUYANNE
Ça, je ne sais pas, il faut le demander à Carlos TAVARES. La batterie nous intéresse, je vous rappelle que le premier mouvement qu’on a fait dans l’électricité, c’était en 2016, c’est d’acheter SAFT. Donc, on a commencé, on avait une société solaire SUNPOWER, on a commencé à acheter SAFT. D’ailleurs, on a créé avec STELLANTIS et MERCEDES une société, elle n’a pas un joli nom, elle s’appelle ACC, c’est une société qui a vocation à construire des gigafactories, il y a une première qui se construit dans le Nord de la France, on en a trois ou quatre en tête en Europe, donc avec deux très grands actionnaires clients également, STELLANTIS et MERCEDES. Donc, on est dans cette aventure des batteries et je pense que d’ailleurs, on sera, ACC pour moi, c’est le nouveau NORTHVOLT, un des acteurs majeurs, c’est l’ambition qu’on a, un des acteurs majeurs des batteries de demain, où là aussi, la demande sera forte. Donc, voilà ce qu’on peut dire.
DAVID BARROUX
Dernière question, je le disais en préambule, 13 % d’actionnaires individuels, 7 % d’actionnaires salariés, comment ça a évolué au cours des dernières années et en quoi c’est important pour vous d’avoir quand même, du coup, pratiquement 20 % du capital qui est détenu par des petits porteurs ?
PATRICK POUYANNE
C’est très important. Parce qu’en fait, les petits porteurs, c’est ce qui vous assure en partie votre indépendance. La fidélité des petits porteurs est forte. En général, c’est des gens, des actionnaires, ils investissent dans une entreprise, en fait, d’ailleurs, on les a vus monter depuis 2020. Ils sont assez malins, quand l’action, à cause du Covid, est passée de 50 à 30 euros, ils ont acheté, ils ont eu raison, elle vaut 60 euros ou quasiment en ce moment. Donc, ils sont assez malins. Ce qui les attire d’ailleurs chez TotalEnergies, c’est le dividende, on sert quand même un dividende conséquent qui fait 7 à 8 % de rendement. Cette année, puisqu’on a annoncé un dividende exceptionnel, il fera même plutôt presque 10 % de rendement. Donc, c’est un beau placement. Donc, les actionnaires individuels pour nous sont une voie de croissance et c’est en gros garantir l’indépendance financière de l’entreprise. C’est une des forces…
DAVID BARROUX
Parce que les fonds, ils peuvent partir…
PATRICK POUYANNE
Parce que les fonds, ils ont tendance, certains sont à long terme, mais d’autres peuvent bouger, ils font des arbitrages, etc., on les maitrise moins. Alors, là-dedans, les actionnaires salariés sont fondamentaux, depuis que je suis PDG d’ailleurs, il y a une augmentation de capital réservée aux salariés chaque année, chaque année. Les salariés investissent chaque année dans l’entreprise entre 300 et 350 millions d’euros. Ce qui fait que les salariés de TotalEnergies d’ailleurs, c’est peu connu, sur la place de Paris, c’est eux qui détiennent en valeur la plus grosse capitalisation, ils ont à peu près 10 milliards d’investissement dans l’entreprise. On cite souvent d’autres entreprises où le pourcentage du capital détenu par les salariés est plus élevé. Mais 7 % de TotalEnergies en valeur, ça fait beaucoup d’argent. Donc, les salariés et c’est d’ailleurs très rassurant, ils ont confiance dans l’entreprise. D’ailleurs, pour moi, c’est une politique essentielle, parce qu’elle permet de réconcilier le débat actionnaires versus salariés, la meilleure façon, c’est que nos salariés soient actionnaires. Comme ça, quand on annonce un dividende exceptionnel, comme on l’a fait cette année, les salariés en ont pris 7 %. C’est concret et ça va améliorer leurs propres revenus. J’en profite pour dire qu’un des faits marquants de ce qu’on a fait cette année, c’est aussi qu’on a bien énoncé une politique de retour à l’actionnaire très claire, où on a annoncé que l’on rendrait à nos actionnaires 35 à 40 % du cash qu’on génère. Donc, c’est un pas en avant, puisqu’on était plutôt autour de 30-35 %, donc 35 à 40 % et qu’on leur rend par du dividende, priorité, qui va croître au fur et à mesure des années…
DAVID BARROUX
Du rachat d’actions…
PATRICK POUYANNE
Le rachat d’actions, ce n’est pas du rachat direct aux actionnaires, ce n’est pas la première priorité. On le fait par le dividende. On le fait aussi, les rachats d’actions, ça ne fonctionne en fait, parce que le rachat d’actions, la première étape, c’est que ça revient dans l’entreprise, ce n’est pas un retour à l’actionnaire. Ce n’est un retour à l’actionnaire que si vous traduisez en dividendes l’année suivante ce que vous avez racheté. Sinon, quand on parle de retour à l’actionnaire, pour l’instant, c’est simplement, la première étape, c’est que vous diminuez la charge de dividende, ça fait de la place, c’est bien l’intention qu’on a. Cette année, on va racheter 4 à 5 % du capital et ça va alimenter la croissance du dividende de 2023, c’est assez évident. Et puis, on a ajouté un outil exceptionnel, c’est qu’on a dit que quand il y a des excédents de cash-flow, parce que les prix sont très élevés, on pouvait faire un dividende exceptionnel, ce qu’on a annoncé cette année, 1 euro par action, qui va être d’ailleurs payé juste avant Noël à l’ensemble de nos actionnaires. Donc, mais le vrai engagement, c’est 35 à 40 % retour, quel que soit d’ailleurs le prix du pétrole. Ce qui nous permet de le faire, cet engagement, c’est ce que j’ai dit, c’est que la boite maintenant, l’entreprise est désendettée. Donc, on peut faire face aux cycles. Donc, c’est une entreprise maintenant qui est beaucoup plus résiliente et qui aussi, qui construit et qui est engagée pour construire les futurs moteurs de croissance de demain, à la fois dans le gaz naturel liquéfié et l’électricité et les renouvelables.
DAVID BARROUX
Patrick POUYANNE, merci.
PATRICK POUYANNE
Merci. FIN